Maha*, Sophie et moi sommes aux mains des pirates de Yasmine Hammamet.
Ils nous ont fait embarquer sur leur galion, le PHENICIEN. D’autres prisonniers (touristes) ont pris place quant à eux sur le SULTAN II ou sur le YASMINE.…
A 10 heures précises du matin, les trois galions quittent la marina sur des airs de musique conquérante. Que va-t-il advenir de nous trois, … de nous tous… pauvres victimes (consentantes) réparties sur ces navires de brigands ?
Déjà des pirates s’agrippent aux filets comme d’agiles araignées et, énergiquement, se hissent en haut du mât. Ils s’y suspendent, à la seule force de leurs bras, et y gigotent comme des asticots pour mieux nous impressionner. Prudemment, je décale Sophie, captivée par leur ascension, statufiée, sous le filet. Il ne faudrait pas que l’un d’eux lui tombe sur la tête…
Au faîte du mât, un drapeau (noir) avec une tête de mort (blanche) flotte dans la brise. Ne serait-ce pas là un sinistre présage ?
Les pirates sont maintenant parmi nous et nous menacent de leurs sabres et de leurs poignards en plastique. Certains ont un œil crevé dissimulé sous un bandana, d’autres une main crochet (fictive), d’autres enfin exhibent leurs animaux fétiches (aigle ou singe) pour nous intimider. Fascinée, je le suis aussi, je dois l’avouer, par leurs muscles fuselés et par leur belle gueule de voyous …. Pas de doute, ce sont eux les plus forts ….
Déjà, les exactions commencent. Au rythme d’une musique endiablée, ils choisissent au hasard plusieurs prisonniers et leur font exécuter des exploits sous menace de les foutre à l’eau. Je me ratatine sur un banc avec Sophie et Maha pour qu’ils ne nous remarquent surtout pas.
Les prisonniers, malencontreusement sélectionnés, s’en sortent plutôt bien. Ils ont su refaire, à l’identique, les mimiques hideuses et absurdes des tortionnaires ; ils ont su reproduire les mouvements de danse de ces pirates qui ont décidément le rythme dans la peau …. Seul un, moins doué que les autres ou peut-être d’une nature plus contestataire, sera noyé … dans un verre d’eau (Ils lui déverseront une bouteille de Sabrina* sur la tête).
Comme il fait très chaud, les pirates jettent l’ancre pour nous permettre, magnanimement, de nous rafraîchir par une baignade autour du galion. Méfiante, je me pose la question : Est ce de la vraie compassion ou un moyen pratique et inavouable de se débarrasser de quelques uns d’entre nous ? Pour Sophie et Maha, rivées à leurs bouées, l’envie de barboter prend le pas sur l’appréhension.
Après la baignade (pas du tout forcée pour certains), ils nous apportent à manger : des merguez, des sardines, des salades variées, du pain, une tranche de pastèque, du coca-cola… Cette délicate attention me les rend tout de suite fort sympathiques (j’ose même leur demander du rab). Mais tout en mastiquant d’aise, je me laisse aller à broyer du noir : en nous nourrissant si bien, ne veulent-ils pas nous faire reprendre des forces en vue de nous infliger d’autres sévices ?
Autre moment de répit très appréciable : la digestion. Ils nous laissent la faire, tranquillement, sans stress et nous leur en savons gré. Je choisis de m’installer à la proue du galion, dans la brise légère. De là, je peux admirer la magnifique baie d’Hammamet avec ses constructions basses, sans toits, bleues et blanches.
Après la digestion, comme une rumeur de rébellion fomente parmi les prisonniers, ragaillardis par un bon repas, les pirates décident de saper nos humeurs combatives en manifestant leur suprématie. Ils cassent des bouteilles de verre et piétinent, pieds nus, les bris éparpillés … sans se blesser. Ils s’allongent sous une plaque de bois hérissée de clous (espérons-le non rouillés) et demandent à une pyramide humaine de venir peser de tout son poids sur leur torse. Sophie (avec ses petits kilos), tout comme Maha, se montrent volontaires) … Les bandits se relèvent sans la moindre égratignure… même pas mal ! Décidément, ces pirates sont invincibles et il ne nous reste plus qu’une chose à faire : nous tenir sacrément à carreau !
A 13 heures, sonne l’heure de notre délivrance. Nous recouvrons notre liberté, tous sains et saufs. Nous disons au revoir à nos tortionnaires et les remercions même chaleureusement de leur accueil (un phénomène incongru, bien connu des psychologues, s’expliquant par la fascination mystérieuse et pourtant bien réelle qui s’exerce entre bourreaux et victimes).
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Maha (*1) : une copine tunisienne de Sophie âgée de 15 ans. Sabrina (*2) : une des marques d’eau les plus courantes en Tunisie. Texte écrit en juillet 2011