Je voudrais bien savoir, cher lecteur, comment vous percevez les gens qui, comme nous, ont choisi de vivre sur un bateau (je parle d’un bateau de taille raisonnable, tout juste habitable, pas d’un yacht luxueux aussi spacieux qu’une villa). Pour vous, j’en suis sûre, ils « se la coulent super douce ».
Le but de mon article d’aujourd’hui est de parler de notre réalité, certes très plaisante mais pas forcément de tout repos. Nous disposons effectivement de tout notre temps, librement, mais ce temps est employé à de nombreuses petites tâches quotidiennes qui mises bout à bout n’en finissent pas. En voici le détail.
Première action de la journée : dès le lever, tel le « shadok », il faut pomper. Avant de sortir de vos toilettes (pardonnez-moi mon intrusion dans votre intimité matinale), vous vous contentez de tirer la chasse d’eau. Pas moi. Je pompe 12 à 15 coups énergiques. Je pompe pour moi et pour les pipis d’oiseau de ma fille. Je pompe en moyenne 20 x 2 fois par jour. Je pompe trop à mon goût et j’ai hâte de voir Sophie devenir autonome en matière de pompage.
Poursuivons le fil de nos journées respectives. Vous vous préparez ensuite votre petit déjeuner.
Moi de même, après avoir branché le gaz (le coffre à gaz se trouve dans le cockpit à l’extérieur du voilier). Votre café bout en 3 secondes (peut-être moins grâce à votre micro-ondes). Le mien tarde à chauffer car je règle le feu au minimum par souci d’économie (Eric le skipper tient à ce que le feu soit au plus bas pour que la bombonne perdure. Je respecte scrupuleusement la consigne). Après le petit-déjeuner, il faut laver sa tasse. Mon lave-vaisselle, ce sont mes mains, comme c’est le cas très certainement pour de nombreuses femmes ne bénéficiant pas du modernisme de notre époque, mais dans un évier ridiculement petit l’opération s’avère parfois longue et malhabile (surtout pour les grosses vaisselles du midi ou du soir).
Mon lit, je vous l’accorde est vite fait. Pour lutter contre l’humidité (sévissant même l’été), je relève les matelas et j’attends qu’ils sèchent sur la tranche. Le problème de la literie est donc ajourné mais pas tout à fait réglé.
Ensuite vient le moment de l’école (vers les 9h-9h30 en général). Comme Sophie n’est pas scolarisée, je la fais étudier un peu tous les jours (même les fins de semaine, même durant les vacances scolaires). Lors des récréations, je me précipite sur ma biolux st 42, ma machine à laver le linge, dont je vous ai expliqué le fonctionnement dans mon article « Biolux st 42 – Rubrique Tunisie ». L’école se prolonge jusqu’à 11H30 puis vient le temps du repas, l’estomac-horloge de Sophie n’arrêtant pas de gargouiller-sonner. Re-vaisselle. Étendage du linge assoupli au fond de ma biolux.
Ensuite il faut songer à se laver soi en plus du linge (il serait temps). Dans une salle de bain exigüe de bateau, ce n’est pas si facile.
Jusqu’à 14h30-15h, ménage. Les miettes sont à proscrire dans une maison flottante et il faut absolument les aspirer sinon des insectes indésirables risqueraient de s’en charger (aspirateur donc à la puissance max, secouage des tapis). Pour ce petit travail domestique, Sophie, spontanément et étonnamment, m’aide.
L’après-midi, éducation sportive. Sophie, chaque jour, regorge d’énergie (ou peut-être est-ce moi qui, à 47 ans, commence à en manquer). Il devient urgent de s’extirper du bateau pour s’aérer, nager, courir, grimper, sauter, se défouler…. Après le sport, quelques courses dans l’enceinte de la marina, avec ou sans mon charriot à roulettes, … des courses d’appoint car pour les vraies courses, il faut prendre le bus jusqu’à Balaixahel ou Hammamet, une vraie expédition comme j’ai eu l’occasion de vous en parler dans mon article « opération shoping du samedi matin – rubrique Tunisie ».
Vers 18H, douche dans les sanitaires (très propres) de la marina (ou à défaut de douche, toilette succincte, les pieds dans une bassine, sur le bateau). 18h45 : préparation du repas.
Les portes du frigo font office de plan de travail (ouverture sur le dessus). Il faut beaucoup d’organisation pour cuisiner sans passer son temps à jouer avec ces portes peu pratiques (Le jeu s’appelle « Sésame, je t’ouvre/je te referme parce que j’ai encore oublié quelque chose » et il est très crispant).
19h30. Repas. Vaisselle.
22h30. Sophie accepte enfin de fermer l’œil (elle ne fait pas partie des enfants que l’on couche tôt). Encore pleine de ressources jusqu’à une heure tardive, elle a toujours quelque chose à regarder (DVD mais pas de télé), à nous raconter, à nous expliquer. Hier soir, particulièrement loquace, elle nous a exposé avec force détails son rêve de petite fille : conduire un gros camion qu’elle compte habiter, décorer, garer … (si un jour nous nous lassons du voilier, nous lui chiperons son idée. Elle est géniale !)
23h. Je me couche après m’être enfin accordée une petite demi-heure (parfois une heure) de détente bien méritée, les pieds largement et ostensiblement en éventail.
La voici, notre réalité sur l’eau (sur l’eau peu limpide d’un port la majeure partie de l’année). Je ne suis pas certaine, Mesdames, que cette vie-là vous tente. Pourtant, elle me convient et je ne saurai plus envisager mes journées sans pomper, sans lessiver comme au siècle dernier, sans enseigner (mon nouveau métier, en plus de celui de lavandière et de shadok) …
________________
Texte écrit en juin 2011